Multi-résistance bactérienne aux antibiotiques et utilisation de la phagothérapie
Posté par Jérôme Larché le 29 avril 2010
L’évolution des résistances bactériennes en milieu hospitalier (mais pas seulement) de germes tels que le staphylocoque doré (recrudescence de SAMR) et les entérobactéries (notamment le bacille pyocyanique), couplé à un désinvestissement progressif de l’industrie pharmaceutique pour la recherche et le développement de nouvelles molécules antibactériennes (manque de rentabilité et perspectives peu optimistes pour le marché), incitent aujourd’hui à s’inquiéter de notre capacité future à pouvoir traiter demain les infections hospitalières (ou extrahospitalières) à germes multi-résistants, notamment chez des patients fragiles (patients atteints de mucoviscidose ou en réanimation, par exemple) ou non (infections nosocomiales).
Des antibiorésistances bactériennes persistantes et préoccupantes
Des membres de la Food and Drug Administration (FDA), du Center for Diseases Control (CDC) d’Atlanta, et du National Health Institute (NHI) ont récemment déclaré que « le monde pourrait bientôt avoir à faire face à ce que des pathologies actuellement traitables redeviennent à nouveau intraitables, comme lors de l’époque pré-antibiotique ». Les données épidémiologiques françaises (mais également européennes, américaines, et dans les pays émergents) confirment la persistance de la recrudescence de germes multi-résistants mais surtout des limites de plus en visibles de notre arsenal thérapeutique anti-infectieux actuel. L’incidence croissante de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes, en ville comme à l’hôpital, justifie donc la recherche de solutions innovantes, et notamment la réévaluation de l’utilisation potentielle des bactériophages comme alternative ou supplément thérapeutique antibactérien.
Les bactériophages : une alternative oubliée ? Les bactériophages (BP) sont des virus capables de pénétrer et éventuellement de détruire les bactéries. Ils constituent l’entité biologique la plus abondante de la biosphère. Ce sont des outils fondamentaux de recherche et d’étude en génétique moléculaire. Ils possèdent 2 types de cycles : un cycle lytique (entraînant systématiquement la destruction de la bactérie) et un cycle lysogénique (pouvant entraîner soit la destruction, soit la modification du génome de la bactérie infectée). Seuls les phages lytiques peuvent être employés à usage thérapeutique. De façon générale, les BP se lient à un récepteur sur la surface des bactéries, insèrent leur ADN ou ARN et « prennent en otage » la machinerie cellulaire bactérienne pour une réplication d’ADN viral et pour la synthèse de protéines phagiques, qui vont permettre la destruction de la bactérie. Chez l’animal, de nombreux modèles ont permis d’étudier l’intérêt des BP dans des cas d’infections mono- ou polymicrobiennes résistantes aux antibiotiques. En usage vétérinaire, la FDA américaine vient d’autoriser l’emploi de BP dans le contrôle de sécurité alimentaire, notamment vis à vis des infections à Listeria sp.
Chez l’Homme, de nombreuses revues de la littérature provenant surtout de pays d’Europe de l’Est ont déjà été publiées sur l’utilisation thérapeutique des BP où, à la différence des Etats-Unis et de l’Europe de l’Ouest, ils ont continué à être utilisés après la découverte des antibiotiques. Plusieurs applications cliniques, par voie locale, intraveineuses ou par aérosols, ont ainsi été étudiées. Il a été démontré que certains phages pouvaient accéder à la matrice des biofilms (sur des cathéters, des implants, des prothèses, ou dans les voies respiratoires), habituellement très difficiles d’accès pour les antibiotiques. Un exemple précis est celui de l’utilisation, par administration d’aérosols chez des patients atteints de mucoviscidose, de phages codant pour une polysaccharide-lyase capable de traiter des biofilms à Pseudomonas aeruginosa. Des études très récentes ont également été menées avec succès en Angleterre, où des otites à bactéries multi-résistantes ont pu être guéries grâce à un traitement local par BP, et en Belgique, où une équipe internationale de chercheurs – incluant des chercheurs géorgiens du reconnu Elevia Institute of Bacteriophages, Microbiology and Virology (EIBMV) de Tbilissi – a travaillé sur la production à petite échelle d’un cocktail de BP (à visée anti-staphylococcique et anti-pyocyanique) répondant à toutes les normes admises de qualité. Il s’agit toutefois de considérer que la méthodologie employée lors des essais cliniques (dans les pays d’Europe de l’ESt), ou le faible nombre de patients évalués (lors des essais en Europe occidentale), ne permet pas de porter des conclusions définitives. Néanmoins, ces travaux cliniques préliminaires incitent à redoubler d’efforts à la fois dans la recherche fondamentale mais aussi dans la recherche clinique pour évaluer sans ambiguité leur inocuité et leur efficacité.
La phagothérapie : une alternative thérapeutique couplée à une volonté politique
En conclusion, le monde médical et d’innombrables patients sont aujourd’hui confrontés à un environnement bactériologique engagé dans une dynamique très préoccupante, associant multi-résistance bactérienne et perte d’efficacité progressive de nombreuses classes d’antibiotiques (sans volonté majeure de l’industrie pharmaceutique d’en proposer de nouvelles). En terme prospectif, l’émergence de germes dits « XDR », c’est-à-dire résistants à toutes les classes d’antibiotiques, est très probable dans les années à venir, avec des conséquences néfastes en terme de santé publique. La recherche de solutions alternatives devient dès lors une nécessité médicale autant qu’une responsabilité politique. Les bactériophages pourraient donc constituer une alternative innovante et réaliste, efficaces sur le plan thérapeutique, préservant mieux l’écologie microbienne, et ce, à un coût global très probablement inférieur à celui des antibiotiques. Sur le plan médical, seuls l’anticipation et un coup d’accélérateur tant dans la recherche fondamentale que clinique, permettront de prévenir ce « tsunami microbiologique ». Sur le plan politique, seule la prise en considération de ce problème dans ses complexités (médicale, socio-économique, et juridique) permettra d’attribuer les moyens nécessaires (humains, financiers et légaux) pour trouver des solutions innovantes, dont la phagothérapie fait indéniablement partie.
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